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Passerelles / Les cahiers / Numéro 10 - mai 2015

Le Mooc : « Apprendre en toute liberté en se faisant plaisir »

Cécile Dejoux
Maître de conférences en Gestion au Cnam
Responsable opérationnel du Master RH.
Créatrice du Mooc du manager au leader : plus de 36 000 inscrits.
En février 2015 Mooc Du manager au leader 2.0 sur la plate-forme FUN

« Je suis favorable à tout ce qui est disruptif, différent, qui casse les codes. C’est en cassant les codes que l’on crée et innove ».

Pourquoi les gens s’inscrivent-ils à un Mooc ?

Nous avons enquêté auprès de nos inscrits et obtenu 14 000 réponses. Voici ce qu’ils disent des raisons qui les ont poussés vers le Mooc :

  • pour enrichir ses connaissances, se perfectionner ou acquérir de nouvelles compétences,
  • pour obtenir une attestation à faire figurer dans son CV,
  • pour apprendre une langue ! – Cela nous a étonnés, mais c’est ce qu’ont répondu de nombreux étrangers…
  • pour voir ce que c’est, pour découvrir…

Sans doute en raison de la gratuité du Mooc, les personnes qui s’inscrivent ont des motivations et des objectifs extrêmement diversifiés, contrairement aux participants de la formation à distance.

Et pour vous, quel est l’atout majeur de l’apprentissage avec un Mooc ?

Pour moi, le Mooc, c’est apprendre en toute liberté. Il n’y a aucune contrainte : chacun est libre d’interrompre sa participation quand il le souhaite. Et, 2e point fondamental à mes yeux, il faut que les participants y trouvent du plaisir. Si c’est le cas, nous tenons là un puissant moteur d’apprentissage.

Vous vous êtes lancée dans l’aventure pour toucher un public plus large ?

Non, j’ai conçu mon 1er Mooc parce que le Cnam est leader en formation à distance et que je forme moi-même à distance 200 personnes tous les semestres. Il a donc logiquement fait appel à moi en tant que spécialiste de la formation à distance. Le Cnam déploie une stratégie de développement du numérique dont les Mooc font partie : il en crée sur l’entrepreneuriat, le droit social, la santé au travail, les objets connectés, la criminologie, bientôt le contrôle de gestion, etc. Mon objectif, c’est de faire rayonner l’image du Cnam.

Dans quel état d’esprit avez- vous décidé de créer votre Mooc Du manager au leader ?

Ma question initiale : comment faire un Mooc pour qu’un maximum de personnes le suivent ?
Je me suis mise à la place d’un individu inconnu, sans savoir s’il avait un bac -2 ou un bac + 10 : « Qu’est-ce que j’aimerais savoir ? » C’est là que j’ai imaginé le parcours Du manager au leader. J’insiste : ce n’est pas un cours, mais un parcours pour passer de l’état A à l’état B et se questionner. Je vise la transformation de la personne : je veux que ceux qui suivent mon Mooc, dont j’ignore les motivations, y apprennent de quoi changer leur quotidien. Je souhaite transformer la personne en lui donnant des outils pour qu’elle puisse mieux décider, mieux comprendre ce qui motive les autres et qu’elle puisse également développer leurs talents ; qu’elle se demande également si elle a vraiment envie – ou si elle a besoin – d’être un leader. Je veux que les participants comprennent aussi à quel point le numérique change tout, y compris leur façon de travailler. Pour pouvoir anticiper et ainsi être libre.

Que change le numérique justement ?

Trois choses au minimum. Le rapport au temps : l’espace entre vie personnelle et vie professionnelle se dissout. D’ailleurs, le Mooc se pratique le plus souvent sur du temps personnel, mais à visée professionnelle.
Le rapport au travail : on travaille avec des équipes virtuelles, sur des projets, des plates-formes, des équipes transculturelles que le plus souvent on ne voit pas ! Il est nécessaire d’expliquer aux gens ce que ça change afin qu’ils soient acteurs et prennent les devants.
Le rapport aux comportements : on ne se comportera plus comme avant avec la hiérarchie, son manager et ses collègues. On ne sera plus jugé aux résultats mais à l’influence qu’on exerce.
Ces trois rapports sont en train de changer et il faut comprendre pourquoi et comment ça change. Intégrer ces changements, c’est reprendre la main sur ses décisions, son action et sa liberté.

Quelle place prendra le présentiel dans l’avenir ?

Le Mooc ne remplacera jamais le présentiel. C’est une autre façon d’envisager la transmission et l’apprentissage, mais il n’est pas substituable au présentiel. Le lien offert par le présentiel sera le luxe de demain en matière d’enseignement ; le Mooc correspondra à sa massification. Le monde de l’enseignement est vraiment en train d’être révolutionné.

Et sur le plan de l’ingénierie pédagogique, certains contenus relèvent-ils d’une modalité plutôt que d’une autre ?

On ne fait pas un Mooc comme on fait un présentiel ou un cours à distance. Ça n’a rien à voir. Chaque outil de transmission de la connaissance a son identité et son mode d’emploi. Un Mooc, c’est une nouvelle façon de transmettre le message que l’on pourrait diffuser en présentiel. Or, la pédagogie, c’est l’art de la répétition… Le Mooc complète et ne se substitue pas. Cela dit, main- tenant que je crée des Mooc, je ne me comporte plus de la même façon dans mes cours en salle : je mets en place des séquences plus courtes, j’utilise davantage d’outils pour stimuler des niveaux d’intelligence visuelle, kinesthésique, linguistique, auditive… je suscite beau- coup plus d’interactions et j’accrois mon exigence de travail en amont. En fait, je pratique la pédagogie inversée. À la demande des auditeurs*, j’ai écrit le livre du Mooc afin d’aller plus loin.

Construire un Mooc, n’est-ce pas mettre en ligne des ressources vidéos avec une interactivité par- fois plus réduite qu’en présentiel ?

Vous parlez de ce que nous appelons un Mooc sur étagère. Pour moi, un Mooc, c’est 30% de contenu, 30% d’autoévaluation et 30% de partage d’expériences sur les réseaux sociaux. Sans cette interactivité, nous n’aurions pas dans la boucle d’apprentissage la vérification que la personne met en œuvre les contenus diffusés, qu’elle partage ses découvertes et ses questionnements. Nous n’aurions donc fait que la moitié du travail. Sans échanges, pas d’apprentissage. Apprendre, c’est aussi mettre en expérience.
Mon Mooc comprend donc 30% de vidéos, 30% d’autoévaluation et 30% de réseaux sociaux à objectif pédagogique : Twitter, Linkedin, Facebook. Nous demandons aux participants ce qu’ils pensent, nous créons des conversations, des groupes, puis nous en parlons une fois par semaine via un Hangout.

Quel est le public des Mooc ?

Des personnes curieuses, motivées par l’envie. Il incombe ensuite à l’enseignant de les accrocher par son teasing. C’est d’ailleurs l’avantage : chaque concepteur de Mooc crée quelque chose d’unique. Vous avez sur votre site un espace consacré aux retours d’expérience des étudiants du Mooc. Quelles conclusions ?
Ils ont aimé une façon de raconter des histoires, certains ont créé une communauté d’anciens du Mooc et même une communauté physique pour se rencontrer. C’est une autre façon de faire de la pédagogie. Mais je l’ai découvert en marchant, en somme… J’ignorais quels seraient les résultats. Ce que j’aimerais, c’est un regroupement en présentiel. J’adorerais concrétiser cette idée !

Vous avez sur votre site un espace consacré aux retours d'expérience des étudiants du Mooc. Quelles conclusions ?

Ils ont aimé une façon de raconter des histoires, certains ont créé une communauté d'anciens du Mooc et même une communauté physique pour se rencontrer. C'est une autre façon de faire de la pédagogie. Mais j'ai découvert en marchant, en somme... J'ignorais quels seraient les résultats. Ce que j'aimerais, c'est un regroupement en présentiel. J'adorerais concrétiser cette idée !

À votre avis, quelles erreurs doit éviter le concepteur d’un Mooc ?

Nous évoluons encore dans un espace de liberté où chacun peut créer le Mooc de ses rêves. Nous ne sommes pas à l’étape de la standardisation avec des classements qui contraignent à obéir à certains critères. Je ne vais pas faire plaisir à tout le monde mais je suis complètement opposée à l’idée que l’on explique « comment faire un Mooc ? » Nous avons carte blanche, alors laissons chacun imaginer les possibles, avec sa maturité d’enseignant et son expérience pédagogique.
De toute façon, nous sommes dans le modèle de l’économie collaborative : c’est celui qui suit le Mooc qui va le noter… Laissons les pédagogues inventer, innover, se tromper.

Êtes-vous favorable à une standardisation à terme ?

Non. Je n’y suis pas favorable mais il y en aura une. Je suis favorable à tout ce qui est disruptif, différent, qui casse les codes. C’est en cassant les codes que l’on crée et innove. Cela dit, toutes les innovations, quand elles parviennent à maturité, sont rangées dans des cases avec pour objectif la rationalisation des coûts.

Comment rentabilise-t-on un Mooc ?

Parlons net : un Mooc, c’est de la pub, du marketing pour les établissements d’enseignement supérieur. Les attestations ne sont pas payantes, en tout cas chez FUN**. Bref, c’est une question d’image.

Et après le Mooc, qu’inventer ?

Alors là, j’ai plein d’idées ! J’en suis à l’étape de réflexion. Le Mooc, c’est la 1re étape d’une révolution. La France doit absolument être partie prenante, sinon tout le monde sera sur des Mooc américains, ce qui serait regrettable pour nous. Donc, si nous voulons être dans le mouvement, pas le choix, il faut innover tout en observant des codes qui nous permettent d’être suivis au- delà des frontières. L’enjeu français au niveau politique, c’est la francophonie. Les études montrent que, contre toute attente, le français ne disparaît pas dans le monde ; il est au contraire de plus en plus parlé. Surtout en Afrique.

Faire des Moocs, c’est une chose, mais le but ensuite, c’est d’attirer des gens, de monter des écoles… Cela fait partie d’une stratégie de la francophonie. C’est pour le moment un outil de promotion. Pour qui veut rentabiliser, il existe trois formules : faire payer le certificat – choix de certaines start-up – réaliser le Mooc avec une entreprise qui finance – ce qui limite le périmètre d’intervention à l’entreprise dans la plupart des cas – ou faire payer supports, ouvrages, voire présentiel, dans une stratégie freemium. Par exemple, au Cnam, nous venons de créer un espace pour les Mooc d’entre- prises piloté par David Jehl et nous innovons à la fois dans le contenu et les modèles économiques.

En ce qui me concerne, après le Mooc Du manager au leader 2.0 sur FUN qui a commencé le 15 février 2015, ce sera le temps de la recherche sur « comment apprend-on avec les Mooc ? ».

 

1 Mangement et Leadership, Dunod 2014
* C'est ainsi que l'on nomme les étudiants au Cnam
** France Université Numérique