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Thèses du CESB Management /
MASTÈRE SPÉCIALISÉ® Senior Management Bancaire

Impact de la crise sanitaire sur le management

Quelles évolutions des pratiques managériales engendrées par la crise sanitaire ?

La crise sanitaire liée à la Covid 19, soudaine et inédite, a obligé toutes les entreprises à s’organiser en un temps record pour s’adapter, afin de minimiser les risques à court terme, et maintenir l’activité. Pour s’adapter à cette situation, les entreprises ont initié de grands changements. Cette crise sanitaire a impacté aussi bien les organisations, les salariés, que les manières de travailler et de manager.

« Cette crise sanitaire liée au Covid-19 a fait évoluer le fonctionnement de nos entreprises, en quelques mois, vers plus d’agilité et de subsidiarité, alors qu’il aurait fallu des années pour beaucoup d’entre elles, dans une période normale, pour se transformer »

Plusieurs grands titres de presses comme les Echos, le Monde…, n’ont cessé de publier des articles sur les enjeux managériaux, et l’évolution des pratiques managériales engendrées par la crise.

En janvier 2021, le Monde publie en grand titre « Cette crise est un facteur incontestable de progression des pratiques managériales ».

Dans un tel contexte, le management des collaborateurs s’est révélé un réel défi pour les banques. Cela a nécessité plus de compréhension, d’écoute et d’humanité. L’adoption de nouvelles pratiques managériales avec plus de délégation, d’autonomie et de responsabilité, au sein des entreprises, s’est faite très largement plus par obligation que par choix, en mettant en avant de nouveaux outils de management et d’organisation jusqu’à présent peu développés (comme le télétravail).

Malgré ce contexte de crise, la plupart des grandes banques françaises ont délivré des résultats exceptionnels (BNP Paribas, Société Générale,…) pendant cette période. Ces résultats sont-ils liés avec l’évolution des pratiques managériales – passant d’un mode « command and control » à un management plus participatif que cette crise a provoqué ? La question mérite d’être posée : faut-il aller chercher dans les nouvelles pratiques mises en œuvre des nouveaux modes d’organisation à pérenniser ?

Pour aborder ces questions, j’ai articulé ma thèse autour de trois parties : l’impact de la crise sur les organisations et le management (illustration avec une grande banque française) ; les évolutions des pratiques managériales qui ont émergées depuis la crise sanitaire, et enfin, la pérennisation de ces nouvelles pratiques managériales afin de trouver une stratégie de relation qui soit gagnante pour les clients/les collaborateurs/la banque.

Impact de la crise les organisations : Nouvelle dimension de l’approche managériale vers un leadership plus relationnel

Jean Pierre LE CAM, Directeur Expert, Change Master ESSEC du Groupe Société Générale décrit les effets positifs sur l’organisation. Cette crise aurait apporté du changement :

  • Un changement dans les modes de travail (le travail à domicile, et la vie au bureau).
  • Un changement du management vers un management systémique, par influence, s’éloignant du micro-management traditionnel du banquier. Jusqu’à la crise, les banques raisonnaient sur ces modes de travail en silos, le modèle opérationnel d’un côté, le modèle relationnel de l’autre.

Cette crise a obligé à imaginer, construire, et optimiser un business model global pensé comme un tout, par la mise en place des équipes multidisciplinaires composées de tous les contributeurs marketing, commerciaux, opérations et informatiques pour réagir rapidement à la volatilité du contexte de crise.

Cette crise a provoqué une transformation managériale répondant en même temps et de façon sous-jacente à :

  • Une crise de confiance parmi les collaborateurs vis-à-vis d’un mode managérial pyramidal.
  • Une crise de l’engagement des collaborateurs qui recherche un sens (qualité de vie au travail, équilibre vie privée-vie professionnelle, utilisation écoresponsable des ressources).

Toutefois, pour Laurent Goutard, et le travail conduit dans le cadre de ma thèse, il ne s’agit pas d’une crise de confiance parmi les collaborateurs, mais cette crise vient révéler les faiblesses des pratiques managériales actuelles même s’il souligne l’adaptation remarquable des collaborateurs dans l’urgence et la difficulté pour faire face à la gestion de crise. Cette crise permettra de solliciter de nouvelles compétences de nos dirigeants leaders, à faire preuve de plus d’agilité et de capacité d’adaptation pour faire évoluer les pratiques de management et d’organisation plus rapidement qu’en temps normal.

Comme les managers étaient plus soucieux du bien-être des collaborateurs dans le contexte Covid, il y a eu un meilleur accompagnement de tous les collaborateurs par la pratique d’un management d’empathie et de confiance avec plus de bienveillance, plus d’écoute, et de responsabilisation. Ce qui vient confirmer que la démarche d’accompagnement des collaborateurs est un enjeu majeur pour les banques qu’il faudrait continuer à investir.

Quelles évolutions des pratiques managériales engendrées par la crise ?

La crise sanitaire a fait émerger une nouvelle dimension de l’approche managériale qui va nécessiter des efforts de nos dirigeants et managers. Afin de répondre aux nouveaux besoins des collaborateurs, quel rôle les managers sont-ils amenées à remplir dans l’accompagnement des équipes ? Comment collaborer étroitement avec des équipes en mode distanciel ? Le confinement a mis fin au mode de fonctionnement cloisonné : « c’est un nouveau contrat social qu’il faut bâtir pour l’entreprise afin d’aider le manager à rester performant malgré la distance ». Le confinement a apporté une composante émotionnelle et un partage plus humain et plus solidaire. Des plans de formations ambitieux ont été déployés dès septembre 2021 pour proposer un accompagnement, et un suivi afin d’ancrer dans le quotidien de nouvelles pratiques innovantes en management fondées sur la coopération. Est-ce la fin du « command and control ? » Le rôle du manager a évolué d’un contrôle terrain de l’exécution des tâches à un management plus apte à déléguer, donner de l’autonomie et de responsabilité.

A la question comment construire ensemble avec les clients et collaborateurs, un avenir meilleur et durable en apportant des solutions financières responsables et innovantes, j’ai proposé de développer une stratégie créatrice de valeur en intégrant les collaborateurs, et en les plaçant au cœur du dispositif de transformation dans lequel beaucoup de banques sont déjà bien engagées. Car ce sont eux qui véhiculent en premier l’image de la banque, font la promotion des services bancaires, et occupent un rôle central entre la banque et les clients.

On peut s’appuyer pour cela sur la Symétrie des attentions comme levier de transformation de la culture managériale : elle pose comme principe fondamental que la qualité de la relation entre une entreprise et ses clients est symétrique, de la qualité de la relation de cette entreprise avec l’ensemble de ses collaborateurs. Cette Symétrie des attentions permet d’affirmer que la véritable transformation à opérer est d’abord, managériale.


Source ACPR

Schéma de la Symétrie des attentions : une stratégie créatrice de valeur pour toutes les parties prenantes

Par exemple, au sein du Groupe BNP Paribas, les équipes de direction sont très attachées à l’expérience collaborateurs. Et si l’expérience collaborateur est la seule vraie condition d’une expérience client réussie ? Un plan de formation est déployé dès l’entrée du collaborateur dans l’entreprise, et tout au long, un suivi rigoureux et des échanges interactifs afin de s’assurer de la montée en compétences, de l’intégration du collaborateur, et du partage des valeurs et éthique du Groupe. Cette mobilisation forte de l’équipe de direction, RH comprise, permet très rapidement de créer une véritable relation de confiance entre manager/managé, et un sentiment fort d’appartenance au Groupe.

D’après Thomas Chardin, expert en marketing des ressources humaines et fondateur de Parlons RH, « l’expérience collaborateur désigne le ressenti global du collaborateur vis-à-vis de son expérience au sein de l’entreprise depuis son recrutement jusqu’à son départ ». Inspirée de l’expérience client, l’expérience collaborateur a pour but de renforcer l’attractivité de son entreprise et de favoriser la rétention des talents.

Dans un contexte en pleine transformation, l’enjeu est de réussir à motiver les collaborateurs dans leurs fonctions. Maurice Thévenet livre quelques conditions nécessaires à l’engagement :

  • Avoir de la cohérence en communiquant efficacement et clairement.
  • Avoir de la réciprocité (une relation donnant donnant) : investir davantage sur la dimension relationnelle tout en restant authentique, vrai et sincère vis-à-vis des collaborateurs.
  • Savoir sur quoi on s’engage : s’approprier les objectifs et les définir clairement sur quoi les collaborateurs s’engagent.
  • Faire confiance en donnant plus d’autonomie

Il faut que le travail fasse sens au collaborateur. Le manager, face à des situations de changements rapides, brusques ou des situations complexes où sa capacité d’agir et de mobiliser sont souvent restreintes, doit développer de nouvelles compétences.

Pour résumer la façon de manager par le sens, retenons les quatre significations de l’auteur du livre « redonner du sens à son management » :

  • L’orientation, la stratégie, la conversion de l’action individuelle vers un but collectif
  • L’interprétation possible par les uns et les autres, avoir une communication claire « potentiellement consensuelle » qui reflète sur les perceptions, et les intérêts des acteurs du groupe collectif. En évoquant les non-dits, la communication intéresse, et fait sens, tout en s’adressant dans le collectif, aux individus, apportant des réponses positives ou négatives mais pragmatiques aux préoccupations de chacun.
  • Le pouvoir de dire, de décider, de débloquer des situations apparemment fermées.
  • Enfin, le sens signifie les sensations, les émotions, par exemple la fierté, la peur, le vécu comme un critère de vérité. Ces émotions viennent interpeller les individus dans leur for intérieur.

Quel devenir de ces pratiques managériales sur le long terme ?

« Quand le problème est bien compris, l’amélioration devient possible » Taiichi Obno, L’esprit Toyota (1989)

Afin de s’adapter à la complexité et l’instabilité liée au Covid-19, de nouvelles mé-thodes de travail et de management plus efficaces et directes ont été mises en place avec le Lean management. Inspiré du modèle de Toyota, le Lean management est une méthode de gestion et d’organisation de travail qui vise à améliorer les perfor-mances d’une entreprise. Cette méthode propose de développer le potentiel de cha-cun afin de créer une culture d’amélioration, accélérée et continue, susceptible de répondre aux enjeux de changements actuels, et d’apporter une création de valeur. Si les bons athlètes se font accompagner pour gagner, pourquoi 99% des dirigeants ne bénéficient-ils d’aucun accompagnement afin d’être plus performant pour excel-ler dans l’entreprise ? Ramener cette méthode dans notre entreprise devrait per-mettre d’accélérer la tendance de l'évolution des pratiques managériales pour le bien commun des collaborateurs qui seront bien guidés, écoutés et encadrés, et pour notre entreprise qui serait plus profitable, rentable.

On peut apparenter la démarche Lean dans sa recherche d’efficacité, de recherche de performance à la quête des nouvelles générations.

Comprendre la nécessité de poursuivre l’évolution des modes de travail et des pratiques managériales

En 2016, la question s’est posée aux ressources humaines sur les défis des géné-rations Y et Z :

  • 92% des jeunes de la « génération Y » refusent le profit comme seul indica-teur de la performance
  • Adepte de l’instantanéité, ils réclament des feedbacks rapides et réguliers, plu tôt que des entretiens annuels
  • Les jeunes ont une préférence pour la hiérarchie horizontale au top-down, et ont une mauvaise image des organisations aux lignes hiérarchiques rigides
  • Plus d’un quart des jeunes pensent qu’ils connaîtront plus de 6 employeurs dans leur vie (ils refusent de rester toute leur vie dans une même entreprise)
  • Ils préfèrent la bonne ambiance au travail à la bonne paie comme critère de choix d’une entreprise. Les jeunes ne s’engagent plus pour l’entreprise mais pour les personnes avec qui, ils travaillent ! Les jeunes sont à la recherche d’un engagement pour l’entreprise qui soit cohérent avec leur système de valeurs, dont les valeurs humaines occupent une place prépondérante.
  • Ils souhaitent un manager-coach, des méthodes de management qui s’apparentent plus au coaching qu’à un management direct


Source ACPR

Schéma sur la Nouvelle Posture Managériale d’après l’étude de marché par S Charlet

Autres défis sociétaux pour lesquels il faut se préparer : 75 % des nouveaux profils de salariés actifs seront issus de la génération Y d’ici fin 2025 (focus RH) ; 25 % des travailleurs actuellement en CDI passeront en système freelance d’ici 2025 (jobat). Ce qui implique que nous devons continuellement nous adapter, faire évoluer nos pratiques de management et d’organisation, afin de mieux anticiper, et préparer sur l’avenir.

Conclusion

Les résultats de l’enquête menée dans le cadre de ma thèse sont cohérents avec les idées et les convictions de la littérature académique et les éditoriaux de la presse. La crise sanitaire a eu un impact positif sur l’évolution des pratiques managériales. 67 % de personnes interrogées ont constaté des changements dans la manière de manager depuis la crise sanitaire. 69 % ont indiqué que ces nouvelles pratiques ont été positives. Et 53 % ont estimé que ces changements dans la manière de manager devront durer sur le long terme. Cela montre clairement qu’il est nécessaire de poursuivre l’amélioration de ces pratiques de manière pérenne et positive au sein de nos organisations car c’est bénéfique tant pour le collaborateur que pour son employeur et ses clients.


Source ACPR

Schéma des résultats de l’étude de S Charlet

Afin d’optimiser les impacts de la crise sur l’évolution des pratiques managériales, j’ai émis quelques préconisations :

Au niveau des collaborateurs : inciter les managers à pratiquer un style de management plus participatif, favoriser la prise d’autonomie et de responsabilité permettant d’accroitre la montée en compétence, la confiance entre managers et managés, favoriser les échanges d’idées par le biais de l’intelligence collective. Il faut continuer à déployer des formations pour fidéliser les collaborateurs et leur apporter plus de savoir-faire, de nouvelles compétences, afin qu’ils puissent donner le meilleur d’eux même. « Les opérations requièrent l’excellence de chacun à son poste et l’unissons de tous » Harvard Business School Review 2020. Aujourd’hui, la gestion des compétences a pour but d’optimiser la performance individuelle et collective des salariés.

Au niveau de l’organisation : continuer à privilégier un circuit court et efficace de prise de décision, optimiser les outils de communication, de collaboration et d’animation pour un gain en efficacité, énergie et temps. Que ce temps puisse servir à être créatif par ailleurs, pour penser, repenser comment améliorer son activité au quotidien, afin de participer à l’amélioration continue de son environnement de travail.

Cette crise a été un puissant levier d’accélération des tendances des transformations pour le secteur bancaire notamment sur la digitalisation avec le recours accéléré au numérique, l’accélération des nouveaux rapports sociaux, et sociétaux dans l’entreprise, l’accélération de la transition énergétique avec l’engagement de développement durable etc. Par ailleurs, elle a fait la preuve que l’activité de l’entreprise peut toujours continuer à fonctionner avec le télétravail. Il s’agit, en définitif, de rester en mode de veille stratégique constante c’est-à-dire, à l’écoute des attentes des collaborateurs, managers et prendre des décisions dans le respect de notre environnement et de notre éthique de gouvernance. Plus globalement, cette crise nous a permis de saisir des opportunités de décider de nos futures relations au travail (Human to Human, numérique) et donc d’accepter les défis de cette crise, de ces transformations pour aller de l’avant. Gardons à l’esprit, ainsi que le reconnaît une véritable sagesse de gestion, « N’eut été des catastrophes et des crises, l’humanité serait disparue depuis longtemps ».



Hervé LOCTEAUShameerah CHARLET,
Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire,
Promotion 2021/2022,
Ecole supérieure de la banque,
ESSEC Business School