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Gouvernance des banques Françaises : où sont les femmes ?

Si les femmes sont majoritaires à 57% dans les effectifs des banques françaises en 2022, elles ne sont plus qu’une sur quatre à leur sommet.

Les quotas sont venus apporter une dimension punitive à la sous-représentation des femmes dans les organes de direction mais sont-ils la solution à tous les maux ? Le débat de l’égalité hommes/femmes divise, passionne et interroge depuis des décennies mais la question demeure ; femmes absentes du pouvoir : pression sociale ou inégalité des chances ?

« N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne seront jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant »

Cette mise en garde de Simone de Beauvoir date de 1949 mais revêt tout son sens à l’heure où la Cour suprême d’un état des Etats-Unis supprime le droit fédéral à l’avortement ou encore que Mahsa Amini, une Iranienne de 22 ans, est arrêtée et battue à mort par la police pour « port du voile inapproprié »

Beaucoup vous diront pourtant que ce n’est plus un sujet ! Que les femmes sont intégrées à tous les étages de la vie économique et politique.

Comment expliquer alors, qu’aujourd’hui en France, seules 2% des rues portent un nom féminin, qu’aucune femme n’ait jamais occupé le poste de Président de la République, qu’un écart de salaire de 15.5% persiste à poste équivalent avec le « sexe fort », qu’elles ne sont que onze femmes élues sur 700 membres à l’Académie française et qu’elles font encore chaque jour 3 fois plus de tâches ménagères que les hommes.

Le développement du travail des femmes au cours des deux conflits mondiaux, a démontré leur capacité à endosser les mêmes responsabilités que les hommes, amorçant un changement de paradigme ancré depuis des générations. Après la seconde Guerre mondiale, le droit de la famille évolue en accordant progressivement des droits identiques à la mère et au père.

C’est donc en 1946 que l’égalité femmes-hommes devient un principe constitutionnel en France (la loi garantit aux femmes dans tous les domaines des droits égaux à ceux des hommes) et en 1965 (il y a seulement quelques décennies) qu’elles peuvent ouvrir un compte bancaire et travailler sans l’accord de leur mari. Le taux d’inactivité des femmes passera alors de 51.5% en 1968 à 25.4% dans les années 90, pour atteindre 12.1% en 2018 (selon l’INSEE). Une hausse spectaculaire qui s’est accompagnée d’une sectorisation forte pour les femmes vers les métiers tertiaires. Par ailleurs, le rapport à l’emploi des femmes en âge d’avoir des enfants a changé au profit d’un nouveau « modèle » favorisant le cumul du travail et la gestion du foyer et de la famille.


Les années 70 marquent l’émancipation des femmes, elles revendiquent la liberté de travailler et l’arrivée de la contraception leur permet de clamer que « leur corps leur appartient ». Cette meilleure adéquation entre fécondité souhaitée et effective leur permet d’afficher de nouvelles ambitions.

Elles ne tarderont pas à se révéler studieuses, persévérantes et brillantes, accumulant toujours plus de diplômes et de mentions. Mais les premiers écarts apparaissent très tôt : si la moitié des étudiants sont des étudiantes dans les formations initiales (elles sont 54% à entrer en classe de Terminale en 2019), on n’en dénombre plus qu’un petit tiers des effectifs en école d’ingénieurs (qui elles-mêmes présentent une grande hétérogénéité : de 15% pour Polytechnique à 65% pour Agro Paris Tech) Elles semblent bouder les filières scientifiques et les plus audacieuses qui tentent l’aventure de l’entreprenariat peinent beaucoup plus à lever des fonds que leurs collègues masculins. Pire, une fois diplômées, elles accusent un écart de salaire de 15% dès leur entrée sur le marché du travail.

Une des raisons ? Le poids du déterminisme social. Garçons et filles sont formatés dès leur plus jeune âge par leurs parents : au travers de l’héritage des valeurs trans générationnelles, leurs professeurs qui perpétuent malgré eux des concepts puissants à l’instar de « l’effet pygmalion », leur environnement : jouets et costumes genrés sous couvert d’univers teintés de rose et de bleu, les médias : qui instrumentalisent continuellement l’information et choisissent de mettre en avant certains modèles. Ils sont donc prisonniers très tôt d’un système qui cristallise leur personnalité et leur collera à la peau leur vie durant.

Pour faciliter leur ascension, l’arsenal législatif n’a cessé de se renforcer. La loi la plus marquante du 21ème siècle est la Loi Copé-Zimmermann (promulguée le 27 janvier 2011) exigeant 40% de femmes dans les conseils d’administration dans les grandes entreprises à horizon 2017. Elle a permis d’accélérer nettement le processus. On dénombre ainsi, 10 ans plus tard, 46% de femmes au sein du conseil d’administration des sociétés du CAC40 comme du SBF120. Ce qui classe la France parmi les meilleurs élèves Européens.

Faut-il s’enorgueillir ? Rappelons d’une part, que la mise en place de « quotas », un mot à la connotation assez péjorative tant il sous-entend la contrainte, a été la seule voie pour obtenir des avancées tangibles en matière d’égalité, et d’autre part, le ruissellement attendu sur les organes de direction des entreprises n’a pas eu lieu. En effet, en 2021, les conseils exécutifs et de direction des grandes entreprises ne comprennent pas plus de 22% de femmes ; et 13% aucune.

Force est de constater que la fracture demeure et le secteur de la banque assurance n’est pas épargné par ce phénomène.

A 57%, les femmes y sont pourtant majoritaires dans les effectifs, mais pas au sommet. C’est ce que Michel FERRARY, professeur chercheur et créateur de l’observatoire SKEMA, nomme le plafond de verre supérieur.

Selon lui, la plupart des Banques Françaises se classent parmi la famille des « machistes » : ces entreprises qui se caractérisent par des critères de diversité & d’exclusion car le pourcentage de femmes dans l’encadrement est supérieur à la moyenne mais le pourcentage de femmes dans les comités exécutif est inférieur à la moyenne.

Pourtant, les principaux établissements français œuvrent sur le sujet et affichent des index d’égalité en constante hausse.

L’index d’égalité émane de la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel imposé aux entreprises de plus de 250 salariés depuis 2019, puis de plus de 50 salariés depuis 2020. Ces derniers doivent publier un index de l’égalité professionnelle, matérialisé par un score sur 100. Il est calculé sur la base de 5 indicateurs destinés à mesurer les écarts de rémunération, d’augmentations individuelles, de répartition des promotions, les augmentations accordées lors d’un retour de congé maternité et la parité des 10 plus hautes rémunérations. Lorsque l’entreprise n’atteint pas le score de 75/100, elle doit prendre des mesures de correction et dispose d’un délai de trois ans pour se mettre en conformité, sous peine d’une pénalité financière fixée à 1% de la masse salariale.


Avec son score exemplaire de 92 points, la Banque Postale surperforme l’ensemble du secteur. Marion ROUSO, Directrice Générale de la banque de détail nous décrypte ces excellents chiffres au cours d’une interview. La recette ? « Une politique RH citoyenne qui donne toute leur place à la carrière des femmes de l'entreprise, une constante revue des talents, des candidatures mixtes pour chacun des postes, un droit de véto de la RH sur les directions qui ne recrutent que des hommes, un dispositif d’accompagnement au leadership féminin, l’affiliation au programme de Danone (Eve), et des valeurs ancrées dans l’ADN du groupe La Poste. « Je n’imagine pas avoir un codir exclusivement masculin : ce n’est pas sain pour la gestion de l’entreprise », nous révèle Marion ROUSO, « j’assumerai totalement d'aller chercher des femmes compétentes quand les places se libèreront dans mon codir » Elle ajoute, qu’il faut INCARNER le dirigeant de demain et bannir les nominations à l’ancienneté.

Mais la société, créée par les hommes pour les hommes est-elle prête à accueillir un nouveau modèle ? et surtout, les femmes en ont elle l’ambition, la capacité organisationnelle et surtout l’envie ? Les syndromes d’imposture, de la bonne élève, ou de cendrillon perpétuent les stéréotypes, les enferment dans l’immobilisme ou les condamnent à l’auto-censure. C’est ici que la responsabilité sociale et sociétale des établissements bancaires s’amorce : au travers d’une gestion efficace des ressources humaines qui doit recenser ses talents, détecter les potentiels et leur mettre à disposition les outils pour déployer leurs compétences.

Car l’échéance courte des quotas pourrait avoir un effet délétère : des femmes à potentiel « jetées en pâture » car non préparées, des plans de carrières inexistants face au tabou (et à l’interdiction) d’intégrer la notion de maternité dans ce dernier, une discrimination positive générant de la frustration et une démobilisation du sexe opposé. Pourtant les études l’affirment : plus les équipes sont mixtes, plus elles sont rentables. Et cela vaut aussi pour les banques : l’Autorité Bancaire Européenne (EBA) souligne dans une étude publiée en mai 2020 le lien entre rentabilité et composition de l’organe de direction, avec pour preuve, des établissements qui affichent un meilleur ROE (Return On Equity)lorsque des femmes occupent des postes de directeurs exécutifs.


Peut-on en déduire que certaines qualités managériales seraient genrées ?

De nombreuses recherches ont démontré que certains traits de personnalité étaient exacerbés selon les genres, et alors qu’il est difficile de le prouver tant les visions sont biaisées, notre enquête a permis de brosser le portrait du manager type dans sa vision stéréotypée : le manager homme est ainsi décrit comme « autoritaire, directif et charismatique » tandis que la manager femme type est perçue comme « empathique, bienveillante et exigeante »

Une différence apparaît pourtant comme fondamentale : à date, seules les femmes portent et mettent au monde les enfants et cela leur confère une expérience spécifique et l’acquisition de soft skills que les hommes n’auront jamais. Nous touchons ici du doigt la fracture recherchée, celle qui pourrait contribuer à créer et entretenir le fameux plafond de verre : la parentalité.

Car si les tâches qui incombent à l’éducation sont de mieux en mieux réparties au sein du foyer, certains schémas se perpétuent : les femmes prennent majoritairement les temps partiels, elles refusent davantage de faire des concessions (mobilité, formation continue) si elles impactent leur vie de famille, elles subissent davantage le stop&go lié à la maternité et ces exemples sont loin d’être exhaustifs !

Ce moment de vie produit deux effets pervers majeurs :

  • Un écart de salaire creusé qui conditionnera les choix de carrière ultérieurs du couple
  • Une obsolescence plus rapide des compétences et qui conduit à laisser la place aux hommes (avec une forme de fatalité ressentie)

Comment y remédier ? En 2021, l’Etat tente de résorber ces inégalités en passant le congé paternité de 14 à 28 j. Une parenthèse encore bien insuffisante et loin des pays nordiques où le père et la mère peuvent se partager le congé maternité des mois durant.

Pourtant, certains dirigeants n’hésitent pas à aller à contre courant et le clament haut et fort. Nicolas Théry, actuel Président du Crédit Mutuel Alliance Fédérale est sorti major de l’ENA, il a démarré sa carrière en 1997 au sein du cabinet de Dominique Strauss-Kahn puis s’est vu attribuer des missions capitales au sein du cabinet de François Villeroy de Galhau auquel il n’hésitera pas à demander un temps partiel pour s’occuper de ses enfants.


Comment multiplier ces initiatives et contribuer efficacement à un changement puissant, rapide et structurant ?

Pour actionner les leviers endogènes à l’entreprise, la fonction Ressources humaines, et en particulier dans les banques, sera centrale. Il faudra réinventer les plans de carrières, non plus sur un schéma pyramidal (et trop souvent patriarcal), mais sur un schéma plus linéaire ne valorisant plus seulement les compétences (dont l’obsolescence sera de plus en plus rapide) mais le savoir-faire, le savoir être et le savoir transmettre et davantage basé sur la méritocratie. Les accélérateurs (coaching, mentorat) n’auront pas vertu à effacer les différences mais à valoriser les compétences, y compris celles acquises dans les sphères para professionnelles à travers ce qui était vécu jusqu’à lors comme des ruptures. La principale fracture résidant toujours dans l’événement pourtant si constructeur de la maternité et des adaptations qui en découlent.

Les voyages, les défis sportifs et le mécénat de compétences, seront reconnus comme de véritables bulles d’oxygènes, vecteurs d’expérience et pourraient constituer un outil puissant pour acquérir le recul salutaire qui manque parfois dans un monde en mouvement constant.

Car dans les années qui viennent, les entreprises seront scrutées par la société civile, plus seulement sur leur faculté à dégager tel bénéfice, verser tel dividende ou absorber telle ou telle cible mais au nom du rôle social et sociétal qu’elles revêtiront dans la société.

Et quelle entreprise commerciale pourra se permettre demain, d’afficher un CODIR où la moitié de l’humanité n’est pas représentée ! Cet équilibre étant précaire, il faudra rester en veille et en particulier au sein des banques, secteur qui s’est sur- féminisé. Car nous avons démontré que la mixité constituait un levier de performance si les genres étaient suffisamment représentés (et cela vaut tout autant pour les origines, les ethnies, les porteurs de handicaps…) Ces facteurs clés de mixité, de diversité et d’inclusion permettront d’emmener le plus grand nombre et de mettre fin au conservatisme et à l’obscurantisme des plus réfractaires.

Le second enjeu sera de faire tomber la frontière entre la vie personnelle et professionnelle : elle s’est considérablement amincie au cours de la crise sanitaire et avec le télétravail, l’entreprise est définitivement entrée à la maison et la famille au travail. Quel meilleur moyen de lutter contre les concepts dépassés du présentéisme, des réunions à des centaines de kilomètres de lieu de travail (amplifiant au passage l’empreinte carbone) et d’impliquer les deux époux sur l’ensemble des tâches du quotidien.

Le segment des jeunes constitue un des fers de lance des établissements bancaires et pour cause, ils constituent les ressources de demain tant en interne qu’en externe. Les banques traditionnelles devront plus que jamais entendre, analyser, comprendre et anticiper leurs besoins. Et cette génération de zappeurs sera particulièrement attentive à la prise en compte de l’émergence de ses besoins (baisse des contraintes, agenda souple, liberté, confiance, autonomie, travail à distance…)

Ils révolutionneront très probablement le rapport à la parentalité et sauront faire bouger les lignes plus vite que plusieurs générations avant eux. Ils seront aussi sans concession sur le rôle modèle de leur employeur et auront besoin de s’identifier à toutes les strates pour devenir les meilleurs pourvoyeurs de ces valeurs partagées. Les nouvelles générations ne se seront pas dupes, elles ont su montrer qu’elles étaient impliquées et militantes sur ces sujets clés.


Les dirigeants ont les moyens de transformer l’essai en osant des innovations disruptives notamment en matière de ressources humaines. Les quotas ont ouvert la voie, ils constituent un accélérateur mais le nouveau modèle ne pourra s’installer durablement qu’avec une implication sans faille de l’ensemble des parties prenantes. Et si le top management n’est pas dépourvu de rôles modèles masculins, il devra promouvoir ses talents féminins et devenir vite exemplaire au sein même de son comité de direction, un des principaux étendards de sa politique interne.


En synthèse si les entreprises veulent contribuer à inverser le cours de l’histoire, bon nombre d’actions, devront être délibérément féministes mais sur un fond de pensée avant tout humaniste.



Hervé LOCTEAUEmilie MONTHUREL,
Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire,
Promotion 2021/2022,
Ecole supérieure de la banque,
ESSEC Business School