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Thèses du CESB Management /
MASTÈRE SPÉCIALISÉ® Senior Management Bancaire

Développer la capacité à changer : un enjeu stratégique

Dans un environnement bancaire en profonde mutation, la capacité organisationnelle au changement devient un enjeu stratégique pour le secteur bancaire. Au-delà d’accompagner les changements, les banques doivent anticiper et développer leur capacité à innover. Quels sont les leviers pour développer la capacité à changer de leur organisation ? Comment renforcer l’engagement du corps social ? Quel est le rôle et quelles sont les compétences attendues des managers ?

« Ici, vous voyez, il faut courir le plus vite possible pour rester au même endroit. Si vous voulez aller ailleurs, il vous faut courir encore deux fois plus vite ! ». Conversation entre Alice et la Reine Rouge dans De l’autre côté du miroir de Lewis Carroll.

Dans le récit « through the looking-glass » de Lewis Carroll, la reine rouge dit à Alice : « ici , il faut courir aussi vite que possible pour rester à la même place ». Cette phrase, cette métaphore, illustre parfaitement la dynamique de l’industrie bancaire, où les acteurs doivent constamment innover et s’adapter pour simplement maintenir leur position. Le avancées technologiques, la concurrence croissante et les demandes changeantes des clients créent un environnement en constante évolution. Les banques doivent sans cesse innover et améliorer leurs services pour répondre aux attentes des clients et rester compétitives. Cependant ces efforts d’adaptation ne garantissent pas un avantage concurrentiel à long terme. Les concurrents évoluent tout comme la réglementation. La métaphore de la reine rouge souligne le caractère incessant et dynamique de la compétition dans le monde bancaire. Les banques doivent non seulement maintenir leur position actuelle mais aussi progresser. Cela nécessite des investissements importants dans la technologie, l’innovation et l’expérience client. Les banques qui n’arrivent pas à suivre ce rythme risquent d’être dépassées par des concurrents plus agiles et de perdre leur part de marché. La stabilité et le statu quo ne suffisent pas, seuls ceux qui courent et progressent peuvent espérer rester compétitifs. Dans un monde en mouvement permanent, ce n’est pas tant le changement qui est important mais sa capacité à changer. Alice, dans le roman de Lewis Carroll s’apprête à vivre de nombreux changements dans un monde merveilleux. Au fil du récit, dans un monde complexe, imprévisible et inattendu, Alice démontre des capacités d’adaptation remarquables. Son audace, sa curiosité, son engament, lui permettent de s’adapter.

Le monde bancaire n’est certes pas un monde « merveilleux » mais il est passé d’une gestion des risques à la gestion de l’incertitude ; la disruption s’accélère et le secteur se questionne sur son modèle d’affaires, son core business. L’évolution des attentes des clients, la révolution digitale, les chocs réglementaires et financiers, mais aussi la montée en puissance des néo-banques et des fintech, imposent de nouveaux standards au secteur bancaire et remettent en cause le modèle historique de la banque de détail. Les banques engagent d’importants chantiers de transformation dans un environnement toujours plus volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA). Les banques sont tenues de repenser leur gestion des risques et leur confrontation à l’incertitude. Plus qu’une redéfinition d’un modèle d’affaires, c’est un choc culturel qui remet en cause le mode traditionnel de management « command and control ». A défaut de pouvoir gérer l’incertitude, il faut apprendre à l’affronter et s’y préparer. Pour ce faire, la voie privilégiée est de générer de la confiance, de l’engagement et développer la capacité à changer de toutes les parties prenantes de l’organisation. Cette perspective met l’accent sur la capacité à changer plutôt que la capacité à gérer le changement. Cette capacité à changer doit être porté par chaque collaborateur, elle s’appuie sur leur engagement – Quelle organisation faciliterait cet engagement et donc sa capacité à se transformer ? Regardons quels sont les leviers de la capacité organisationnelle au changement.

Sur le plan théorique, la capacité organisationnelle du changement (COC) est « l’aptitude de l’organisation et des acteurs qui la composent à créer les conditions favorables au changement continu, à favoriser son déploiement et son intégration dans le fonctionnement même de l’organisation ». Le modèle de Soparnot permet de cartographier les actifs transformationnels et d’évaluer la capacité de transformation d’une organisation. Il identifie 14 attributs relevant de trois dimensions reprises dans la figure 1. La capacité au changement repose sur l’ensemble des ressources de l’organisation. A l’épreuve de la pratique, trois points saillants ressortent des études : un projet commun, un leadership transformationnel et une organisation adaptable. L’association cohérente de ces leviers est un gage de succès du changement. « Le changement relève moins de ce que l’on fait que de la cohérence des actions entreprises ». Regardons plus précisément ces leviers.

Figure 1 : les dimensions de la capacité de changement – source : Soparnot (2006), Klarner et al. (2007,2008)



1er levier : s’assurer de l’engagement de tous les collaborateurs un partageant un projet commun et une dynamique centrée client

Le premier levier est de partager un projet commun : une vision partagée et une expérience client au cœur de l’organisation. Selon Peter Drucker, « La raison d’être d’une organisation est de permettre à des gens ordinaires de faire des choses extraordinaires ». La méthode d‘approche habituelle de la conduite du changement s’appuie sur le « quoi », c’est à dire les objets du changement et plus rarement sur le « pourquoi » et le « qui » (le salariés, les clients). Le why, Le sens au travail a aujourd’hui une place prépondérante dans les attentes des collaborateurs. Ne nous attachons donc pas uniquement à raconter ce qui va changer mais pourquoi nous changeons. La notion importante pour tous est le sens, le « pourquoi » que Simon SINEK décline dans sa théorie de communication du cercle d’or (cf. figure 2). Le pourquoi est une raison d’être ambitieuse qui reflète les motivations des collaborateurs à participer au travail de l’entreprise. On ne recherche plus un sens convenu, une adhésion intellectuelle mais un sens vivant. « Il n’y a pas de changement sans stabilité minimum, pas d’élan sans appui ». La banque est donc invitée à définir et décliner son « pourquoi », sa culture, sa raison d’être. La loi PACTE a consacré la possibilité pour les entreprises de se fixer une raison d’être. Cette dernière définit un objectif d’intérêt général et s’inscrit dans une démarche globale reprise dans la déclaration de performance extra financière (DPEF). Cette déclaration reprend le modèle d’affaires de l’organisation et décline les trois piliers RSE. Les banques engagent donc un profond travail d’introspection. C’est une opportunité de transparence et un levier de transformation. C’est aussi un formidable facteur d’engagement pour le capital humain. Cela a été le choix du Crédit Mutuel qui a engagé cette démarche innovante et en prise avec son ADN mutualiste. Première banque entreprise à mission, Crédit Mutuel Alliance Fédérale a fait le choix du mutualisme de la preuve en se fixant quatorze premiers engagements concrets, applicables dès 2022. Développer une organisation agile, c’est aussi ancrer la voix du client dans toute l’organisation (le Who). Le service client et la satisfaction client concernent l’ensemble des directions de l’entreprise. Le client se retrouve au cœur des projets de transformation. La voix du client est un facteur de transversalité, elle donne une meilleure lisibilité de l’organisation aussi bien interne que pour le client lui-même. Elle rappelle à tous que le client est l’unique boussole d’une entreprise commerciale.

Figure 2 : modèle du golden circle (Sinek) – source : moonseven-editing.com



2ième levier : Développer un leadership « transformationnel » garant de la performance de l’entreprise et valorisant le développement de ses équipes

Le deuxième levier est la capacité des managers à coacher le changement et à développer un leadership transformationnel. Le directeur d’une agence bancaire doit gérer ce qui s’apparente à des injonctions contradictoires : coacher la performance et contrôler la conformité d’une part - développer un management collaboratif en assurant le développement personnel de ses collaborateurs d’autre part. Cette dualité met en relief deux types de leadership : le leadership transactionnel et le leadership transformationnel (cf. figure3). Le leadership transactionnel s’appuie sur les échanges entre le leader et son équipe. Il utilise des récompenses sous forme de rémunération ou reconnaissance en échange de ce qu’il souhaite obtenir. Les taches sont clairement définies et permettent d’obtenir un système équilibré. Le leadership transactionnel renvoie au management opérationnel. Le leadership transformationnel est plus complexe. Il manie la baguette…tel un chef d’orchestre qui recherche une harmonie au sein de son organisation. Il accorde de l’importance à la motivation intrinsèque et au développement des collaborateurs. Le leader transformationnel partage ses valeurs, il favorise la communication et permet à ses collaborateurs de développer leurs compétences. Il prône l’innovation et pousse les collaborateurs aux changements, distillant un leadership partagé. Il développe l’autonomie et guide le raisonnement de son collaborateur. Il tire son équipe vers le haut dans un contexte de transformation. L’observatoire des métiers de la banque a mené une étude sur l’évolution du management dans la banque. Cette étude met en projection le rôle et les compétences du manager de demain - cf. figure 4. Ainsi dans une banque plus digitale et connectée, le facteur humain sera déterminant. Le manager devra donc trouver un équilibre entre son « hard rôle » et son « soft rôle ». Le hard rôle, reprend l’ensemble des activités traditionnelles du manager : organiser, piloter, contrôler l’organisation. Alors que le soft rôle implique la relation humaine tel que : encourager, faire grandir, écouter, faciliter… Les soft skills deviennent essentielles et discriminantes. Le manager transformationnel est invité à adopter la meilleure version de « lui-même » et le modèle de leadership qui lui ressemble le plus avec un leitmotiv : apprendre à apprendre - apprendre à se connaitre pour bien gérer les dynamiques de groupe et apprendre sans cesse de son environnement pour s’adapter.

Figure 3 : comparatif leadership transactionnel et leadership transformationnel - source : emergenceleadership.com


Figure 4 : les rôles du manager de demain – source : observatoire des métiers de la banque (2020)



3ième levier : flexibiliser son organisation et adapter les méthodes de gestion de projet

Le troisième levier clé pour développer une solide compétence collective « à changer » est de s’appuyer sur une organisation plus agile et adaptable. Selon Senge, « La vitesse à laquelle les organisations apprennent serait ainsi la seule source d'avantage concurrentiel durable" 88% des organisations considèrent le thème « organisation du futur » comme un chantier prioritaire. Cette préoccupation concerne également le monde bancaire. La banque serait donc invitée à adopter une nouvelle forme d’organisation. Traditionnellement fondée sur un système basé sur les activités, les taches et les procédures, elle doit évoluer vers un système fondé sur les processus de satisfaction des demandes clients et des employés. Les nouveaux modèles de management invitent à repenser l’organisation autour de l’utilisateur plutôt qu’autour de l’outil. La littérature fait une large place à l’entreprise libérée ou à l’holacratie. Elle vante les mérites d’une organisation qui s’appuie sur l’autonomie des collaborateurs, la suppression des contrôles et de la hiérarchie. Ce mode de management marquerait un changement radical pour une banque qui, rappelons-le, n’est pas une organisation tout à fait comme une autre. Les banques ont mené des actions ciblées pour flexibiliser leur organisation comme par exemple la réduction de strates de management ou l’adoption d’organisation matricielle mais Les rigidités demeurent. Face aux difficultés d’agir sur la structure, les banques peuvent mettre en place des modalités de conduite de projet et des processus propices à l’innovation : L’approche « customer centric » remet en cause les techniques traditionnelles de gestion de projet et du changement ; la méthode agile challenge la traditionnelle méthode en cascade. L’agilité s’applique à plus grande échelle dans les banques et non plus seulement à l’informatique mais aussi aux Métiers. La méthode agile ne répond pas à tous les projets mais elle rappelle que l’utilisateur final a un rôle crucial dans la réussite d’un projet ; l’agilité facilite l’adaptation au changement (test and learn) alors que la méthode cascade impose la rigueur du suivi d’un plan (command and control). Un autre outil de changement continu et de mobilisation des équipes est le lean management, un programme d’amélioration continue. Né dans l’industrie, inspiré du Hoskin Kanri, le lean management arrive dans le monde des services et de la banque. Le Hoshin Kanri est outil de management du changement, un levier puissant qui s’appuie sur l’ensemble des employés d’une organisation. La méthode HK (cf. figure5) est un outil de pilotage de la stratégie. Elle aide à clarifier et décliner les orientations stratégiques. Elle permet d’aligner toute l’entreprise sur une même vision, un objectif à long terme. Elle favorise l’empowerment, autonomie interdépendante et collaborative. La communication du bas vers le haut définit le « quoi » et du bas vers le haut répond au « comment » on va le faire.

Figure 5 : approche bottom Up, la méthode HK – source : site web rewenknine



Les banques ont de nombreux atouts pour devenir des organisations adaptables et apprenantes. Elles apprennent « l’incertitude » et misent sur l’humain. Les banques réinventent leur promesse à la société et investissent massivement sur l’innovation technologique pour répondre aux nouveaux usages des clients. Elles s’engagent aussi dans la délicate transformation de leur organisation interne. Les réponses importent moins que la réflexion qu’elle appelle, et rappelle l’impérieuse nécessité de développer sa capacité à changer. Les questions sur leur modèle d’affaires restent ouvertes. Mais rappelons-nous que dans le monde imaginé par Lewis CAROLL, les personnages doivent avancer pour rester sur place, il faudra courir deux fois plus vite pour aller ailleurs….



Hervé LOCTEAUXavier MENUGE,
Mastère Spécialisé Sénior Management Bancaire,
Promotion 2020/2021,
Ecole supérieure de la banque,
ESSEC Business School